La troupe était restée plus longtemps que prévu à Caelestis, le chef avait croisé un vieil ami et ils avaient décidé de passer quelques jours ensemble histoire de rattraper le temps perdu. Pour le reste de la troupe, ça signifiait qu’ils avaient quartier libre jusqu’à nouvel ordre. Ça pouvait aussi bien être une bonne chose qu’une mauvaise chose. Tout dépendait d’où ils faisaient escale et s’ils avaient de l’argent à dépenser. Malheureusement, Helden avait déjà dépensé tout ce qu’elle avait gagné, un jour plus tôt, en présence d’un soldat avec laquelle elle avait fait les boutiques. Un bon souvenir !

Aujourd’hui, comme ses poches étaient vides et qu’il était hors de question qu’elle quémande quoique ce soit à son frère – qui lui donnerait tout ce qu’elle voudrait si elle le lui demandait, elle décida de simplement se promener. Pas de danser, pas de courir ou faire la folle. Juste se promener, profiter du paysage, bavarder avec les passants. Prendre un peu de bon temps, faire une pause dans tous ces voyages incessants, même si ces derniers ne l’ont jamais dérangé.

Elle ne put toutefois pas s’empêcher de virevolter un peu, de sautiller ici et là, d’avoir l’air de flotter. Puis au tournant d’un coin de rue, son regard pétillant tomba sur un petit bonhomme qui lui était vaguement familier. Ses yeux se plissèrent, cherchant au fin fond de sa mémoire, avant de se rappeler où elle avait déjà vu ce visage. Esquissant un sourire taquin, elle marcha plus vite afin de l’atteindre et de lui sauter littéralement dessus en lui lâchant : « Je t’ai retrouvéééé ! » Sûrement allait-il se dire qu’Helden est folle. Sauf qu’il n’aurait pas tort de le penser.

Elle avait probablement exagéré. Elle aurait simplement pu l’aborder de loin ou se placer devant lui afin d’avoir son attention. Sauf que ça n’aurait pas collé avec son caractère… Donc forcément, il avait fallu qu’elle l’agresse. Ecrasé sous son poids plume, il se dégagea très rapidement. De nouveau sur ses pieds, la danseuse joignit ses mains derrière son dos tandis qu’un large sourire ornait ses douces lèvres.

Il pensa qu’elle était perdue, qu’elle avait fait la mauvaise pioche. Doucement amusée, elle en rit avec légèreté avant de lui répondre, les yeux pétillants :

« Je peux t’assurer que je ne me suis pas trompée, c’est bien à toi que je voulais parler ! C’est normal si tu ne me reconnais pas puisqu’on ne s’est jamais parlé ! »

Elle pouvait bien paraître étrange sur le moment, peu lui importait. A vrai dire, elle ne l’avait pas cherché, mais maintenant que son regard s’était de nouveau posé sur lui, elle n’avait pas simplement pu poursuivre son chemin alors qu’elle avait été émerveillée face à ses doigts de fée – si on pouvait appeler ça de cette façon.

« En vérité, il y a quelques temps, je t’ai vu faire preuve d’une immense discrétion et piquer dans les poches de plusieurs personnes et… J’aimerais que tu m’apprennes ! » S’exclama-t-elle sans se soucier du fait qu’on pouvait l’entendre.

Helden sait pertinemment que le vol n’est pas « bien », et si jamais son frère apprenait ce qu’elle avait derrière la tête, il la consignerait à l’intérieur de leur habitat du moment jusqu’à nouvel ordre. Elle ne pourrait donc plus danser avec les autres, jouer avec les enfants, s’amuser… Ah, faîtes qu’il n’en sache rien ! Il fallait donc jouer la carte de la discrétion – jusque-là, c’était un peu raté, hein. Il suffisait de lui apprendre.

Lorsqu’il se mit à rire, Helden se demanda si elle n’avait pas dit une bêtise. Elle était pourtant sérieuse dans ses propos, donc il n’y avait rien de drôle, rien qui puisse provoquer de fou rire… Soit il se moquait d’elle, soit elle avait bel et bien dit une ânerie. Peut-être s’était-elle trompée de personne ? Elle avait pourtant confiance en ses yeux et sa mémoire pour se souvenir du visage de quelqu’un. Elle le scruta une nouvelle fois, préférant vérifier mais… Non, c’était bien lui qu’elle cherchait.

Suite à ses paroles, la demoiselle était totalement perdue. Voler le cœur des gens ? Elle n’avait pas besoin d’apprendre ça… Mais avant d’avoir pu protester, elle se retrouvait embarquée dans une ruelle un peu plus loin. C’est là qu’elle remarqua sa bourde. Au début, elle cligna des yeux plusieurs fois, ses lèvres formant une petite moue. Mince alors ! A quel point pouvait-elle être idiote ? D’un seul coup, elle se fit toute petite, jouant avec ses doigts en proie à la nervosité.

« Je… Je suis désolée. J’étais tellement enthousiaste lorsque je t’ai reconnu, et j’essayais tellement de ne pas me préoccuper de ta grande taille… Je n’ai pas fait attention à ce que j’ai dit. Je suis vraiment désolée si je t’ai importuné ! » S’exclama-t-elle en s’inclinant légèrement.

Toutefois, il avait l’air ravi par l’idée de lui apprendre, donc ça la rassurait ; elle n’avait pas tant gaffé que ça. Elle toussota un peu, reprenant contenance et se remettant droite comme un i.

« Je m’appelle Helden et je… euh… viens d’ici et là ? Ahah… » Répondit-elle, se grattant la joue à ses derniers mots, un peu embêtée de ne pas pouvoir répondre plus précisément. C’est ce qui s’appelle être nomade, après tout. Innocemment, elle donnait son identité sans se soucier des possibles conséquences – elle ne songeait jamais à ça, un bien gros défaut de sa personnalité. Il y a toutefois une raison à son manque de prudence : elle n’attirait de cette façon aucune méfiance et on lui accordait soit facilement la confiance, soit on la prenait pour une cruche et on ne s’attendait à rien de négatif de sa part. Mais avec ce que Fawn lui avait appris quelques temps plus tôt, cela pouvait changer si elle s’apercevait d’une quelconque supercherie.

« Et toi ? (Elle enchaina sans lui laisser le temps de répondre) Tu vas vraiment m’apprendre ? C’est génial ! J’ai tellement été bluffé que personne ne te remarque, ça m’est resté en tête pendant deux jours ! » Rigola-t-elle dans un excès d’enthousiasme.