Cette fille, elle croit encore qu’elle peut tromper ses ennemis avec un simple sourire. Elle croit encore que la vie lui appartient et qu’elle a le temps de découvrir la mort. Elle pense peut-être qu’elle va pouvoir se retenir de crier, d’exprimer cette frustration trop longtemps réprimée. Cette fille se trouve bien trop naïve encore, alors que son cœur se déchire entre les trahisons. Dis-moi Max, où vas-tu avec tout cela ? Où comptes-tu encore enterrer ces sentiments ? Tu te fais du mal, Max. Et le monde tourne trop vite. Hey, déconne pas ma grande, reste sous terre, là-haut il n’y a rien, rien que la mort.

Et ses yeux se lèvent vers ce qu’elle appelle la surface, vers ce qu’elle appelle l’inconnue, vers ce qu’elle nomme secrètement du nom de son père. Déconne pas, ce n’est qu’un traitre. Vite baisse les yeux, vite, enterre ces sentiments. Mais où va-t-elle comme ça ? Elle-même ne le sait pas. Bien sûr que si, elle connait ce chemin, elle connait cette grotte remplie de végétation, ces murs luxuriants, cette statue qui se dresse devant elle. Bon maintenant va falloir que tu me dises ce que tu fous là ? De tous les endroits où elle se sentait le plus angoissée, il a fallu qu’elle trouve le pire. Devant le regard de ce Dieu qui la juge, qui juge sa famille et qui la fait traitresse rien que par la pensée, pourquoi avoir marché vers lui ?  Pourquoi avoir marché vers ce temple qui semble presque abandonné. Et cette statue qui contemple son œuvre le regard attendri, baignant de ses mains l’espace qu’elle a créée. Vois-tu tous ces hommes et ces femmes que tu as engendrés ?  

Pourquoi tu la regardes avec ces yeux d’ange, elle n’est que la fille d’un traitre. Et son visage baigné d’une neutralité surprenante perd d’un coup de sa couleur. Max, tu es dégoutée, tu as envie de vomir. Quel est cet drôle de foi qui t’anime envers ton propre Dieu ? Détourne le regard, baisse les yeux et enterre encore une fois ces sentiments qui te rongent du plus profond de tes entrailles. Personne ne te voit Max, personne ne te regarde car l’on ne croise pas le regard d’un traitre. Et pourtant tu n’es qu’une jeune fille, et pourtant des gens te vois, ils te croient.

Dans cet univers où cette fille est née sous le nom des Willcotts, il a fallu qu’elle se batte pour que l’on oublie son nom de famille. Des années que tu crois encore tromper tes ennemis. Et pourtant, quelqu’un est là pour te tendre la main, dans ce temple désert, tu entend son souffle et tes épaules restent droites face au mur. Derrière toi une ombre se glisse mais Max ne demande plus qu’à être entendue.

La chaleur humaine que t’apportes cette personne qui se glisse doucement derrière toi t’es indispensable. Elle ressentait ses mouvements, elle les connait et les découvrait chaque jour. Cette fille qui effleure ta peau de ses doigts, elle te redonne gout à l’amour par chacun de ses sourires. Tu l’admire, tu la chérie, elle est ta sœur. Max ne peut que réclamer ses câlins, ses contacts, et cette main remplie de chaleur qui attrape la sienne, la redressant face au mur. C’est grâce à elle si ses épaules restent droites. Et Max se tourne doucement vers elle, vers son visage encadré de ses cheveux rose, vers son sourire qui l’accueil et toute la tendresse du monde s’abat sur elle.

Ses gestes sont lents, délicats et de ses mains, elle vient couvrir le corps de sa sœur. Tout le respect, toute la tendresse qu’elle éprouve pour elle se transmet par son regard et pourtant, aucun sourire ne s’affiche sur son visage. Le cœur encore remplie de rengaine, cette statue au visage si doux les recouvre de sa bienfaisance. Max, tu es transparente, ce Dieu lit en toi, referme ton cœur, ne l’ouvre que pour ta sœur. La rousse redresse sa tête, elle est légèrement plus grande qu’Hestia mais elle aime à penser que ce n’est qu’une petite sœur qui va encore grandir, une petite sœur sous sa protection mais une petite sœur avec certaines ambitions secrètes que Max ne soupçonne pas encore. Et peut-être cherchent-elles la même chose.

Enfin un sourire amical se dessine sur les lèvres de la rousse. Enterrant ses doutes et sa rancœur, la seule chose importante et cette tendresse partagée, pas même cette présence de pierre peut la gâchée. Elle aurait voulu raconter à quel point elle tient à Hestia, mais les gestes sont plus nobles que les paroles. Max, tu sais que tu n’es pas seule. Max, tu es pourtant bien seule face à ton désespoir. Ne gâche pas ce moment de ta vie.

« Hestia. »

Pas besoin de grand-chose, pas besoin de discourt, Max efface sa souffrance et rend sa joie de vivre à la lumière. Ses mains tombent doucement le long de son corps, elle rend à sa sœur sa liberté. Son regard, parcourant les traits de son visage, parvient à déceler une inquiétude. Le temple baignant les deux jeunes filles d’une lumière mystique semblait rassurer d’une bénédiction divine les doutes et soupçons. Elles étaient là, toutes les deux pour la même raison, trouver conseil, s’adresser au Dieu. Max tourna alors son regard vers la statue de pierre et son sourire s’effaça aussitôt.
 
« Tu es venu lui demander quelque chose ? »

C’était une question, qui ressemblait plutôt à une affirmation. Es-tu jalouse Max, qu’elle s’adresse à un Dieu au lieu de venir te voir ? Non. Pauvre enfant à la foi qui s’ébranle, pauvre fille qui ment, penses-tu que les dieux, n’importe lequel, te pardonnera un jour ? Non. Alors prie pour ta sœur, prie pour qu’elle trouve des réponses à ses questions, prie pour elle. Oui.
Et sa main vient chercher celle d’Hestia, comme si ce contact pouvait les connecter à un autre monde au-delà des craintes, au-delà des doutes, baigné de lumière et de vérité. Je prierai pour elle.

Les trais de son visage ne creusaient, ni ne se détendaient pas alors qu’Hestia répondit à sa question. Aucune hésitation ne passait devant ses yeux et pourtant en son fort intérieur nombreux sentiments se chamboulaient. Elle ne pouvait pas croire que sa sœur lui mente, alors elle ne le crut pas. Puis la deuxième partie de sa réponse lui parvient à ses oreilles et l’orage se calma, communicant même de l’apaisement. Max, après une longue contemplation de la statue, défiant un regard trop tendre et innocent à son gout, tourna son visage vers celui d’Hestia. La neutralité de celui-ci s’envola aussitôt et de nouveau la douceur apparut dans ses trais.

Alors que le silence tombait telle une douce pluie de printemps et que la lumière se fit plus chaleureuse et claire, Hestia retourna la question de Max et le monde se mit soudainement à tourner trop vite. Tout s’enchainait, le temps qu’elle mit pour arriver ici, chaque pas sur ce chemin, chaque souffle et chaque pensé lui rapprochait de l’inévitable conclusion. Même les paroles d’Hestia imposaient ce mur de pierre noir. Fallait-il abandonner, fallait-il se fier aux dires des personnes clamant la trahison ? Pouvait-elle enfin s’aimer en renonçant à cette folie ?

Max, elle a raison, c’est de la folie, du temps perdu. Combien de temps as-tu déjà sacrifié à cette recherche désespérée, en laissant tes rares amis de côté ? Comprendras-tu enfin un jour que c’est trop tard ? Cela fait presque dix ans, laisse donc le passé là où il est. Et perdre contrôle de mes pensées, me faire enrôler par l’opinion populaire ? Accepter que mon père soit vraiment un traitre ? Tout abandonner et laisser tout ça de côté ? Je ne peux pas. Tu ne peux pas. Elle ne peut pas.

Et alors que son visage se tire et se tord, que ses yeux fixent les perles des yeux d’Hestia, son cœur est au bord de ses lèvres tremblantes et une soudaine panique l’anime. Elle prend dix année d'un coup et son regard se fit si triste qu’une mer déchainée est sur le point de passer par-dessus les falaises. Ses lèvres s’entre-ouvrent et laissent passer un souffle de détresse.

« Non, je ne peux pas. »

Un souffle, et elle avoue. Le monde bascule, tout tourne trop vite autour d’elle. Elle baisse alors les yeux au sol, fixe un point du regard et prie pour que celui si ne s’envole pas dans une nuit trop sombre. Pardonne moi Hestia, pardonne moi, je ne peux pas. Mais la mer déchainée reste derrière les falaises, les tremblements de ses lèvres s’apaisent, elle refuse catégoriquement de craquer devant sa sœur. Elle refuse de montrer une quelconque faiblesse devant elle, elle veut lui prouver qu’elle est assez forte pour faire face à ce mur noir. Mais ce contrôle sur soit ce fait trop tard. Hestia sait déjà.