Si à l’origine je viens d’Okéanos, c’est pour une bonne raison. Je suis curieux comme pas deux. Mais alors vraiment. Par chance, je suis capable de la canaliser, ce qui fait que je suis quelqu’un de très entier dans ce qu’il fait, et qui malheureusement oublie le reste du monde quand il cherche des trouvailles. Ca semble surfait dit comme ça, mais oublier de boire de l’eau régulièrement quand on est dans un désert, oublier de mettre des vêtements chauds quand on est dans des montagnes, tout ça pour un beau caillou, c’est un peu idiot. Je ne suis pas vraiment doué quand il s’agit de renoncer, je le confesse, même si on m’interdit quelque chose, tant que l’envie sera là je braverai l’interdit pour obtenir satisfaction. Ca fait un peu tâche dans la belle cité toute carrée du peuple marin quelqu’un comme ça, qui n’obéit pas aux ordres. Enfin, ils s’en accommodaient assez bien, à base de châtiments corporels vous voyez.
Sinon, je suis très amical. L’alcool n’est pas mon ami, je ne le tiens pas mais alors pas du tout. Apparemment, je l’aurais joyeux. Je dors beaucoup après.
Assez arrogant, j’ai tendance à penser que je suis supérieurement intelligent. Après tout je suis d’Okeanos. On me répondra qu’on est tous suffisamment intelligent parce que c’est avec ça que l’on en juge. Je répondrai que je trouve bien trop de gens idiots.

Né à la périphérie de Galiea, je ne me souviens plus de mes parents. Non, pas orphelin. Traumatisme crânien. Quand j’avais dix ans. Et inutile d’insister, je ne me souviens de rien du tout. Non madame pas la peine de me donner des coups de canne. Tout ce que je sais, c’est que j’ai du mériter un coup de batte dans la caboche. Et que mes parents n’étaient pas très bon dans leur boulot, parce qu’ils ne m’ont jamais cherché. J’ai été recueilli par le pays, et j’ai pu me plonger dans la lumière de notre capitale. Les casinos, très peu pour moi – hé, j’étais un enfant, je n’allais pas entrer comme ça, surtout sans le moindre sou. Non, la lumière qui m’éclaira fut celle de Conscientia. Un vrai rat de bibliothèque, voilà ce que je devenais. Non, je ne me plongeais pas dans l’étude des Siècles Abandonnés  idiot, s’ils sont « Oubliés » c’est pour une bonne raison. Mais je lisais tout ce que je pouvais, et je dois avouer que c’est là que j’ai commencé à douter. Douter du bien fondé de rendre un culte aux dieux. Qu’ils existent était indéniable. Mais qu’avaient-ils fait qui mérite que nous leurs rendions un culte ? Plein de choses. Qui étaient éclipsées aux yeux de l’enfant que j’étais par l’apocalypse qu’ils avaient provoquée. Ils avaient failli nous détruire. Ces êtres sont dangereux.
Ma conviction est que les hommes qui leur vouent un culte sont des faibles, des lâches. Ce sont les adeptes de la théorie du vaincu, qui constate comment est fait le monde. Non, j’avais douze ans lorsque je me convainquis que le monde était fait pour que nous, qui l’habitions, le modelâmes.
Je n’ai fait qu’une fois cette réflexion à quelqu’un d’Okeanos. Il regarda l’enfant que j’étais avec un air désolé, pour m’expliquer que ces choses là étaient tabous, et qu’il fermerait les yeux puisque j’étais jeune. Cet homme deviendrait mon mentor. Je ne donnerai jamais son nom, par respect. Je suis un traitre à mon peuple, si je m’associais à lui je causerais du tord à ce grand homme.
Grâce à lui je fus recommandé pour intégrer la prestigieuse école du savoir. J’y rentrais, et m’y ennuyais. Élève au-dessus de la moyenne, j’étais raillé pour mon manque apparent de motivation. Je trainais la patte pour venir en cours, parce que les horaires étaient indécents à mon goût, et que j’étais et suis adepte du dicton « un esprit sain dans un corps sain ». Quand bien même je m’entendais bien avec tous mes comparasses, je n’avais aucun ami. Me lier avec autrui, vraiment, n’a jamais été mon fort. Je préférais la compagnie des machines, et surtout des ouvrages, à celle de mes pairs. J’avais pris au mot le conseil de mon père spirituel, et n’avait jamais pipé mot de mon incrédulité face aux dieux. Non, plus de l’incrédulité, c’était de l’impiété, mêlée à de la peur et à du dédain. Ces êtres cosmiques pouvaient d’un souffle balayer tous les hommes. D’un geste nous sauver d’une vie de lutte, en nous donnant tout ce dont nous aurions besoin. Ils pouvaient nous unir, tous. En lieu de cela, ces choses avaient décidé de nous créer, puis sur un coup de tête avaient oublié notre existence, avaient manqué de nous annihiler, puis nous avaient répartis en trois groupes, attisant les tensions, et nous forçant à choisir quel aspect de la nature nous aimerions. Et quoi, parce que je suis né sous l’eau je ne peux pas apprécier à sa juste valeur la beauté d’un lys blanc ? Foutaises. Ces décisions arbitraires, si elles étaient le propre d’un dieu, ne me convenaient pas. Je m’étais détourné de l’étude des Siècles Abandonnés  pour me concentrer sur des moyens d’élever l’Humanité. Mais vous savez quoi ? Même si je n’en parlais jamais, mon souci avec le divin se remarqua. Progressivement, je perdais la confiance de mes partenaires de projets, qui ne voulaient pas être associés à quelqu’un qui plaçait la science avant Okeanos.
Ces gens passent pour être les plus intelligents des mortels, eux qui se terrent sous l’eau à lire. Ce sont des couards, doublés d’idiots. Ces inventions qu’ils façonnent, ils les façonnent pour le bien des hommes, pas pour celui de leur dieu. Qu’est-ce qu’un blasphème s’il permet à l’Homme de s’élever ?
Je me pose les vraies questions, les bonnes questions. Et je savais pertinemment qu’ils y en avaient d’autres, parmi les scientifiques, qui se posaient ces questions, pour arriver aux mêmes conclusions que moi. Apparemment ils étaient meilleurs que moi au jeu du mutisme, car jamais on ne m’approcha pour me faire intégrer une quelconque société secrète qui comploterait contre les dieux. Si seulement. Nous aurions pu faire tant de choses, à l’intérieur même de la Civilisation.
L’inaction de mes pairs face à ces paradoxes latents m’amena à penser qu’il y avait un passif, quelque chose qui faisait que personne n’en parlait. Je me tournais alors à nouveau vers les Siècles Abandonnés . Si ce que savait l’Humanité des dieux me portait à la conclusion que ces êtres étaient, sinon mauvais – les concepts de bon et de mauvais n’étant à mon goût pas applicable à ce qui dépassait l’Homme – au moins dangereux, c’était dans ce qu’on ignorait que je trouverai une réponse. Et lorsque je saurai pourquoi les hommes les plus cultivés et les plus avancés refusaient de se soulever contre ces dieux, je pourrais leur démontrer le caractère fallacieux de leur réserve.
Tout de même, je me débrouillais pour recevoir un diplôme de l’école. Puis je sombrais dans mes recherches, manquant à mes devoirs les plus élémentaires. Surveiller des élèves ? Je n’étais pas à l’heure. Donner un cours ? Haha pauvre fou j’ai mieux à faire. Le poste qui m’avait été attribué me fut même retiré un an après avoir été diplômé, c’est dire si j’étais mal vu. Mais je m’en fichais. Après tout, c’était des distractions en moins vers la vérité. J’ai beaucoup voyagé, enfin, plus que ceux qui allaient effectivement surveiller les élèves. Inutile de dire que les informations sur les Siècles Abandonnés  que je glanais étaient rares, et pour la plupart d’avantage des rumeurs ou des idioties que quelque chose de tangible. Pourquoi n’avait-on aucune trace de cet âge. Comment, de manière globale, l’Humanité avait-elle cessé d’écrire, de transmettre. Alors j’émis une théorie. Ce qui s’était passé à cette époque était la clé. La clé pour monter sur le trône au dessus des dieux. C’était ces derniers qui avaient poussé les hommes à oublier, de peur qu’un jour ils ne prennent effectivement place au dessus d’eux. Nous avions le nombre. Il nous restait à acquérir le pouvoir. Et je l’aurai.
Aujourd’hui vous me voyez, assis sur des coussins dans une tente. Pour quelle raison ai-je quitté mon peuple ? Mon attitude apparaissait comme délétère si bien qu’on m’interdit tout bonnement d’aller sur la terre. J’étais confiné sous l’océan. Et graduellement, on m’interdisait l’accès à l’Officinarum, à Conscienta, jusqu’à me cloîtrer dans mon laboratoire ou presque.
Je me suis enfui. Avec mes travaux sous le bras, et ce que pouvait contenir mon sac d’objets dont j’estimais avoir besoin, besoin pour tout refaire là-haut. Peut-être que si j’étais parti en laissant tout, on m’aurait en retour fichu la paix. Mais j’en doute, personnellement. J’avais déjà ces gens en horreur du temps où j’étais un étudiant optimiste quant à l’avenir de son peuple, et la chasse que me livre la police secrète, pas si secrète d’ailleurs à mon humble avis, d’Okeanos n’aida pas à améliorer l’image que j’ai d’eux. Des chiens bien dressés, à qui on a crevé les yeux. Comme la plupart des habitants de l’océan. Leurs yeux voient, mais ils ne regardent pas.
Me faire accepter n’a pas été facile. Je suis toujours un peu solitaire, et puis avoir des militaires à ses trousses n’aide pas forcément. Mais une fois que sur mon front fut marqué au fer rouge ma provenance – coutume idiote à mon goût, si je suis un vrai fuyard c’est le dernier endroit où j’irais, si je suis un espion, et déjà un espion de quoi nous sommes à Okeanos infiniment plus avancés qu’eux, je suis capable de m’éclipser sans qu’ils ne puissent m’arrêter, m’enfin s’il fallait ça pour s’intégrer soit – je pus enfiler un bob qui masquait cette horreur, et commencer ma nouvelle vie de chercheur de trésors. C’était il y a trois ans, et maintenant buvez le thé, il va être froid et c’est un bien précieux.

Trois mots suffiront. Il est tard. Je veux dormir.
Je suis faible. Très beau forum. Les verts puent.
Là je force. J’aime manger. Je vais dormir.