musique – Tapis dans l'ombre de ta cellule, recroquevillé sur toi-même, le corps se balançant doucement, tu chantonnes des musiques d'antan dont tu n'as pour souvenir que le refrain et les quelques notes qui suivent. Nettle les chantait lors de vos voyages de sa voix cristalline et plus les années passent, plus la mémoire se distille, tout disparaît, s'évapore, comme si ça n'avait jamais existé.
Depuis quelques mois déjà, il n'y a plus de chaleur à Lacum. Même plus de chaleur humaine, tu es froid, glacial et pourtant ça semble te laisser indifférent. C'est donc ça d'être transformé en machine ? On perd tout, jusqu'à la dernière goutte. Tu t'disais qu'c'était pourtant pas grand chose, jamais qu'deux bras, jamais qu'deux jambes et bon dieu, qu't'avais tort. Tu pensais que c'était pas comme si on t'arrachait ton âme, comme son on t'extirpait ton cœur, tu t'disais que tout irait bien, comme toujours, qu'il y aura une solution. Mais tout c'que tu constates, c'est qu'jour après jour, l'espoir il s'effondre, il explose, il est en miettes ; tu seras jamais capable de retrouver les pièces du puzzle, te reconstruire, combien même on tentera de clamer ton innocence. Parce que dans cette histoire, t'as perdu plus que deux bras et deux jambes. T'as perdu ta fierté, ton honneur, tout c'qui avait fait de toi un homme bon, et par-dessus tout, tu as perdu ton unique famille.

Ca paraît tellement cliché, banal. Des histoires comme les tiennes, on en voit dans des milliers de livres. Un héros pas très intéressant, avec un fort caractère mais qui a toute la vie devant lui jusqu'à ce qu'on finisse par scinder son chemin et son semblant d'bonheur, et l'voilà parti pour une belle aventure.
Ton aventure à toi, elle s'est arrêtée là, dans les profondeurs abyssales. Comme la plupart des prisonniers, t'étais rassuré de venir ici ; la mort allait pouvoir attendre. Aujourd'hui, tu donnerais n'importe quoi pour qu'on en finisse une bonne fois pour toute.

Un peu plus tôt dans la journée – ou la nuit ? Tu l'ignores tu as perdu la notion du temps ici – on t'a prévenu de la venue de McMillen. Son visage, tu le connais par cœur. Et pour cause : c'est un des rares que tu as pu croiser depuis le début de ton incarcération. Tu peux le remercier grandement pour avoir fait de toi un monstre, une machine. Il t'a déshumanisé sans une once de remords. A chaque fois qu'il débarque dans la salle, tu t'sens capable de lui arracher la carotide avec les dents, comme une bête enragée, un charognard.

Puis, il entre, enfin. Tu le vois du coin de l'oeil et tu n'lèves même pas la tête et ne dit bonjour. La dernière fois que tu l'as fait, on t'a emmené dans une salle d'opération et tu t'es retrouvé avec des fardeaux de métaux.

- Vous venez admirer et jouir de votre œuvre comme tous ces artistes timbrés ou vous avez une solution miracle pour m'rendre mes bras et mes jambes, ou peut-être ma liberté ? Tu lâches un rictus de dégoût. Dégagez, y a pas de mise à jour à faire.

musique – Cesse tes jérémiades, tu es déjà suffisamment pathétique comme ça.
McMillen est toujours d'un calme déconcertant. Il ne s'énerve jamais contre toi, ne hausse pas la voix et pourtant, c'est toujours lui qui a le dessus, qui t'écrase comme si tu n'étais qu'un moi que rien. Comme si ? T'es peut-être qu'un moins que rien, en fin de compte. Non. Tu en es un, c'est certain.
Il t'arrive parfois d'vouloir juste oublier à quel point t'es pathétique, à quel point tu le hais, à quel point t'es rancunier envers un simple pion qui exécute les ordres docilement, juste pour savoir comment c'est dehors aujourd'hui, quelles sont les nouvelles, est-ce que l'monde continue d'tourner malgré les injustices, malgré qu'y en a qui crèvent de désespoir mille lieux sous les mers ? Puis tu t'souviens qu'avant, quand t'étais libre, qu'tu voyais ces gens s'faire emmener à Lacum, tu t'posais pas vraiment la question. La vérité, c'est qu't'en avais rien à faire, ça arrivait qu'aux autres. Tu t'disais surtout qu'la justice faisait son boulot, qu'elle le faisait bien.
Balivernes.

McMillen avait quelque chose de déconcertant en plus de son air totalement impassible ; il continuait de faire son job malgré ta réticence. C'est presque par habitude que tu t'es mis à reculer lorsqu'il fit quelques pas en ta direction. A force, tu fais même plus exprès d'lui mettre des bâtons dans les roues, c'est plus fort que toi.

- C'est pas comme si avoir des bras et des jambes fonctionnelles allait m'servir dans dix mètres carré. Tu lâches ça, froidement, dans un soupir exacerbé. C'pas la peine, ça sert à rien c'que vous faites. Vous perdez votre temps, laissez tomber. J'en veux pas d'votre puce, reculez.

Tu plantes tes yeux qui n'ont plus rien d'humain dans ceux du type en face de toi avec agressivité. T'es pas capable de l'frapper, ni d'faire du mal à une mouche. Mais t'en as marre d'être un rat de laboratoire.

musique – Le plus déconcertant c'est qu'il ne semblait jamais perdre patience. Tandis qu'toi, t'es là avec ton menton redressé et tes yeux plein de haine, qu't'es là avec tes jeux d'gamin, ton comportement de gamin. McMillen installe dans un calme déconcertant le reste de son attirail et prend place, presque trop calmement que cela en deviendrait presque déstabilisant. Tu restes le fixer tandis que doucement, il t'invite à venir le rejoindre auquel cas... auquel cas quoi ? Tu n'sais pas. Il ne fait jamais des menaces, il lance seulement des avertissements et parfois ça suffit pour t'effrayer un peu et forcer ta docilité. C'est vrai qu'tu pourrais juste baisser la tête et aller t'asseoir, lui tendre le bras et l'regarder partir pour revenir dans des mois et des mois.
La vérité c'est qu'tout ça, c'est ton quotidien. Ceux qui ont fait de toi une machine ou une sorte de monstre de fer sont tes seuls contacts humains. Les seuls qui t'permettent de parler, de t'rappeler ta part d'humanité alors qu'tu pensais avoir tout perdu. C'est précieux et tout à la fois détestable.

Viens t'asseoir. Je ne te le répéterai pas.
Tu t'dis que si t'avais eu un père, il aurait été comme ça, lui aussi. Il t'aurait glacé en un regard et tu serais rentré à la maison la queue entre les jambes en t'excusant et en prétendant qu'tu recommencerais plus. Tu plantes ton regard sur le brun pendant quelques longues secondes et tu croises les bras, venant reposer ton dos contre la paroi derrière toi.

- Sinon quoi ? Vous allez sortir une manette et m'faire m'asseoir ? Tu ris avec ironie, parce que tu t'dis qu'avec tous ces fils et toutes ces puces, ça s'rait sans doute possible. Comment j'peux vous en vouloir encore plus ? Vous avez vu c'que vous avez fait de moi ? Ordre ou pas putain, j'suis un être humain. Tu étais, en fait. Mais tu continues d'y croire, ne serait-ce qu'un tant soit peu.

Tu pourrais faciliter les choses. Les siennes et les tiennes à la fois.
Mais c'est tout toi ; pas très mature malgré toutes ces péripéties sombres et sanglantes qui se sont déroulées. Tu profites de ton semblant de dominance avant qu'il ne t'ordonne une seconde fois à venir le rejoindre parce que tu sais que, bordel, t'es qu'un lâche, tu l'feras.

musique – Quand t'auras fini de jouer la victime, tu m'appelleras. Il ne t'en a pas fallut plus pour te faire rougir de honte et avoir l'air passablement frustré. Le pire dans cette histoire, c'est qu'en effet, t'es sans doute une victime. Mais dans les histoires où les héros subissent le même sort que toi, ils sont toujours vaillants et optimistes. Puis toi t'es là, tapis dans ton coin d'cellule à attendre que quelque chose se passe, que quelqu'un s'bouge pour t'sortir de là. T'attends un miracle, mais faudrait qu't'arrêtes d'y croire. C'est enfantin. T'es plus un enfant, n'est-ce pas ? Ah, qu'elles sont loin les jeunes années candides.
McMillen finit par te poser une colle, suggérant ton éventuelle libération. Ca t'fait tiquer. C'est facile de te redonner espoir, ne serait-ce qu'un peu. Il n'y a juste qu'à prononcer le mot libération ou liberté dans une phrase et ton cœur s'emballe, tes cils papillonnent presque et tu as des papillons dans l'ventre. C'est la même chose quand on est amoureux. Par déduction, tu es amoureux de la liberté, ta chère et tendre qui t'a laissé un vide énorme dans l'âme quand elle t'a abandonné.

Assieds-toi.
Comme tu l'pensais un peu plus tôt : il n'a pas flanché. Et toi, comme tu t'en doutais un peu plus tôt, tu obéis.
C'est tête baissée que tu viens vers la table et qu'tu finis par renoncer à te rebeller. Tu t'assieds doucement, faisant grincer la chaise sur le sol. Tu sens l'odeur de la cigarette se répandre dans la petite geôle et, étrangement, tu l'apprécies. C'est une odeur nouvelle, ça change du sel, des ténèbres, des larmes, de l'attente.

- Je n'sais même pas si les gens de l'extérieur apprécieront ma sortie. Soupir. S'il y en a une un jour, bien sûr.

Tu tends tes bras vers lui, capitulant à cette petite bataille, comme à chaque visite de McMillen.

- Vous auriez pu les faire moins lourds. Tu souris un peu, par taquinerie. T'essayes de prendre ta situation avec humour, ça t'arrive rarement. Jamais, en fait. Mais t'essayes. Il le faut.

musique – Lorsque l'on t'a imposé ces fardeaux de fer, tu t'es longtemps refusé à les utiliser. Les articulations prenaient la poussière et dysfonctionnaient à peine voulais-tu bouger le bout des doigts. T'as été comme un gamin tout c'temps là, capricieux et boudeur ; tu t'refusais à leur donner c'qu'il voulait, t'étais prêt à t'laisser claquer dans ta cellule pour les faire échouer. Le problème dans tout ça, c'est qu't'un un vrai lâche, et le suicide ne fait pas parti de tes plans les plus pertinents malheureusement. Tu t'es donc réfugié dans l'attente et l'espoir d'être libéré un jour, t'disant que ça se trouve, ça plaira aux filles, ça t'donnera un petit air d'aventurier, d'homme fort, tout c'que t'as jamais été, en somme.
Lorsque t'as réalisé que ton seule occupation résidait à découvrir toutes les capacités de tes nouveaux membres, t'as fini par te raisonner et t'dire qu'au moins, t'es pas mort. Le plus dur, ça a été de reproduire tous les gestes du quotidien avec aisance. Ce fut sans doute la tâche la plus difficile qu'il t'ait été donné jusqu'alors.

Le brun termine son bricolage – tu n'y comprends jamais rien, tu regardes en espérant pouvoir apprendre mais tu t'dis que c'est un truc de rat de bibliothèque, de passionné ou juste de malade mental, qu'c'est pas pour les gens comme toi qui peinent à retenir un poème, une chanson ou juste un prénom. Allez, donne moi tout ce que t'as et fais-moi rêver qu'il te dit en posant son coude sur la table. T'as bien compris qu'c'était là une invitation pour faire un bras de fer – un jeu qui n'aura jamais aussi bien porté son nom pour le coup. T'es un peu hésitant au premier abord ; t'as pas franchement envie de lui casser l'bras parce que tu sais pas contrôler ta force et – et puis merde, tant pis.

Tu reprends sa même posture et saisis sa main.

- Je crois que ce qui va me manquer le plus c'est les sensations qu'on a de toucher quelqu'un, quelque chose. Avoues-tu avec une moue un peu abattue malgré ton maigre sourire qui orne tes lippes. Tu t'demandes alors si sa main est plutôt chaude ou froide, si sa poigne est puissante ou délicate, si sa peau est douce ou non.

Tu forces un peu – mais pas trop. T'as pas habitué d'user tes bras de cette façon là et malgré ton caractère de chien enragé, t'es pas capable de faire du mal à qui que ce soit – du moins, pas physiquement.

- Vous devriez renoncer avant que je ne vous casse un truc. Tu lances ça presque par provocation pour cacher tes craintes idiotes.

♫ the breaking of the fellowship –Si jamais c'est vrai, qu'tu sors enfin d'ici et qu'tu peux retourner au domaine terrestre, tu penses que McMillen va t'manquer. Juste un peu. Lorsqu'on entend l'mot cobaye et créateur, on s'imagine une relation malsaine avec un but bien précis, un psychopathe et une victime. Quelque part, t'as pas totalement la sensation d'être devenu un rat d'laboratoire bien qu't'aimes bien te victimiser en prétendant le contraire. Non tu t'sens presque proche de celui qui a créé tes membres, tu t'sens presque ami avec lui – le tout avec des limites, cela va de soi. Il ne t'a jamais vraiment fait de mal, et ne t'a encore moins manqué de respect, il a continué à t'ouvrir les yeux et t'gifler quand tu t'laissais couler dans la déprime et la pénombre. Il t'a toujours ramené vers la maigre lumière de Lacum et il t'fait espérer. On associerait peut-être ça au syndrome de Stockholm mais tant pis. Tant pis, illusion ou non, l'plus important pour toi c'est d'avoir quelqu'un en face, un visage à r'garder, une voix à entendre.
T'as un peu des étoiles dans les yeux quand il t'annonce que tu pourras reprendre ton sens du toucher tôt ou tard malgré tes membres de fer. Tes fardeaux deviendront peut-être des avantages et ce monde si froid se réchauffera sans doute. Tu baisses la tête, les joues légèrement rougies sans aucune raison particulière. Ou peut-être que si ; il est là à t'rassurer pour la énième fois et croire en toi. Ca t'fait tout drôle, c'est vrai. T'as le cœur qui tambourine dans ta poitrine et ça d'vient de pire en pire.

- Je. Vous. Enfin.

Tu bégayes et lorsque tu relèves la tête, tu aperçois une bouteille d'eau. Pour beaucoup ça n'est pas grand chose, pour toi c'est tout un bonheur. Tu te jettes presque dessus, retires le bouchon et commences à boire une gorgée, puis deux, trois, cinq, huit. Tu engouffres tout dans ton gosier, d'un coup.
Au fond d'une cellule, on délecte la moindre attention et la moindre nouveauté. L'eau semblait si pure comparée à celle qu'on te balançait tous les jours dans ta cage ; un peu salée et acre, un goût écœurant qui ne te laissait jamais indifférent.

- J'aurais dû en garder un fond pour vous le lancer au visage. Un sourire gamin creuse tes joues. ... Vous. Euhm. Tu détournes le regard et fais mine d'être occupé à regarder ailleurs. Le mur, par exemple, qui devient soudainement intéressant. Vous restez encore ici ou vous devez partir ? Et tu croises les bras. Non pas que j'apprécie votre présence, tch. T'as raison, Dan, fais l'orgueilleux, c'est bien l'moment.

♫ the breaking of the fellowship – Tu t'sentais con et par-dessus tout, embarrassé comme jamais. T'aurais dû avoir la langue dans ta poche, au moins cette fois, au moins avec lui. McMillen c'est pas l'gars qui va compatir ton cas en pleurant et qui va remuer ciel et terre pour t'faire sortir de ta cage abyssale, c'est plutôt l'gars qui va tapoter ton épaule en te disant que, t'inquiètes, ça ira mieux demain. Et toi t'y crois, bêtement, naïvement. Ta sœur te disait toujours que t'étais pas très mature, qu't'avais beau être méfiant t'es prêt à croire un inconnu parce que tu cherches toujours à t'convaincre d'la bonté des gens même s'il y en a pas vraiment. Vivre dans l'illusion, ça t'a toujours suffit. Mais maintenant.. Ah, maintenant. Comme c'est différent.
Tu l'fixes et il se moque de toi, bien entendu, tu ne t'attendais pas à un autre réaction de sa part. Il a un sourire en coin, un sourire un peu agaçant qui t'fait froncer les sourcils et tirer la moue.

Si tu as quelque chose de particulier à me dire, je t'écoute. Mais après il va falloir que je parte, j'ai du travail. Les mots restent bloqués dans ta gorge, tu balbuties un peu avant de reprendre ton souffle.

- Non. C'est bon, c'est pas important je pense. On verra une autre fois.

Depuis quand c'est si compliqué de dire merci, Dan ?
Mais merde, pourquoi t'es incapable d'être franc alors que t'as pas la langue dans ta poche, pourquoi t'es un putain de lâche, un putain d'incapable ? Pourquoi tu te dégonfles toujours dans des moments pareils.

- Bon courage pour... votre travail. Euh enfin. Je me demandais juste.. Est-ce que je suis le seul comme ça, ici ?

Tu avales goulûment ta salive. Finalement t'avais réussi à dévier la situation pour t'intéresser à quelque chose de visiblement moins blessant que de dire merci. Crétin.