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Le monde est à pleurer

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Lazarus
Lazarus
Messages : 94
Date d'inscription : 09/05/2015
Le monde est à pleurer écrit le Dim 16 Aoû - 15:51
Le quartier avait changé depuis le temps. La venue du restaurant avait, entre autres, formé une certaine élite au sein même des pauvres. Comme une fresque qui s’étirait lentement, une progression de la richesse vers la pauvreté, même si la richesse elle-même n’était qu’un prétexte. Parce qu’on agissait surtout comme des riches, sans vraiment l’être. De nos vêtements usés, on se tenait le dos droit et au lieu de demander la charité on tentait plutôt de tenir une conversation avec les grands de ce monde. C’était un peu ça, la force du restaurant. Il permettait de rêver, l’espace d’un instant, à une vie qu’on n’aurait sans doute jamais. Cela dit, plus on s’en éloignait, plus la froide réalité revenait vite. Parce qu’au fond de la mer, il y a de ces endroits où la lumière de la surface ne se rend jamais. Tom s’y rendait souvent, ces temps-ci.

En l’occurrence, il se tenait dans l’un de ces tréfonds, une maison close à l’apparence d’un bidonville où étrangement quelques bonshommes se présentaient, la tête pleine d’idées et le portefeuille suffisant pour les assouvir. Pour ces prostituées en mal de tout, subir des sévices supplémentaires n’était pas vraiment une nouveauté et si elles pouvaient en retirer le double de leur tarif habituel, alors ils étaient le bienvenus, peu importe qui ils étaient. Puis, pour eux, c’était tout ce qu’il fallait pour s’assurer l’anonymat, au lieu de fréquenter les chics établissements. Mais revenons-en à Tom.

Il était là, assis sur un lit, tenant doucement la main d’une des filles de l’endroit. De son autre main, la fille caressait sa joue, sa chevelure blonde plaquée sur son visage moite la camouflant en partie, mais on pouvait y déceler un œil attendri et un faible sourire. Lui ne réagissait pas. La vérité était qu’il hésitait à savoir comment il devait réagir et partager dans son indécision, il s’était résigné à l’inaction. Elle avait perdu du poids encore depuis la dernière fois. Pourtant elle ne perdait jamais le sourire, tandis que lui était confiné dans une sorte de respect poli, ne sachant pas vraiment comment se tenir. Il ne le savait jamais, pour être franc. Malgré la maladie elle paraissait si vivante, sa personnalité resplendissante. Même si elle n’avait rien fait de sa vie. Lui, qui avait réalisé son rêve, se considérait comme un automate qui s’était improvisé humain. Alors, à cet instant précis, il se demandait bien lequel des deux était vraiment vivant. Sa main faible serra la sienne et il comprit tout de suite ce qu’elle voulait. Il n’était pas un bon chanteur, seulement il savait aligner quelques phrases en suivant le rythme. C’était bien plus que suffisant. Alors il fredonna le même refrain, sans doute la seule chose qu’ils partageaient tous les deux.

«Parle-moi et rassure-moi
Chante encore dans mes oreilles
Comme si tout allait bien
Prends mon corps contre ton corps
Prends mon âme, retiens-la bien
Console-moi et chante encore
»

Avec un sourire satisfait, elle s’assoupit enfin. Alors, il la laissa pour se reposer. C’était peut-être la dernière fois qu’il la voyait, mais ce n’était pas plus mal. C’était sans doute mieux, en fait. Il sortit de la pièce avant de croiser une grosse dame mal vêtue, mais qui transpirait de cette confiance en soi que rien ne pouvait faire basculer. Elle était consciente de ses charmes et savait que ceux-ci ne résidaient pas dans sa beauté physique. Elle arrêta Tom avec un sourire entendu. «Elle est contente de te voir, tu sais. Dans ses bons jours, elle ne fait qu’en parler. » Tom la considéra, un sourire timide effleurant ses lèvres. «Ah bon? Pourtant on ne se connait pas vraiment.» La matrone l’arrêta aussitôt. «Pour le peu qu’il lui reste à vivre, elle est contente de savoir qu’elle a un frère qui a réussi dans la vie.» Ses traits se crispèrent et il fixa le sol. Qu’avait-il réussi, exactement? Il sentit les larmes lui monter aux yeux suite à cet élan soudain d’émotion, mais se calma. Il salua respectueusement la dame et s’en alla.

Perdu dans ses pensées, il ne lui fallut que peu de temps pour se perdre physiquement aussi. Ainsi donc, un mois auparavant, il apprit qu’il avait une sœur, de trois ans son aînée. À l’instant où il l’a rencontré, on lui a annoncé qu’elle avait quelques semaines à vivre, un mois tout au plus. Une vie d’abus et d’excès avait eu raison de sa santé, mais elle ne regrettait rien, apparemment. La douce ironie voulait que lui regrette tout en dépit d’une bonne santé. Ils étaient des opposés. Pour être franc, il ne l’aimait pas trop. Ce qu’il n’osait pas s’avouer, c’était qu’il la jalousait. Il sortit rapidement de ses pensées après avoir foncé dans quelqu’un. «Pardon.» Il continua son chemin. C’était ça le monde, quand on enlevait les artifices. Des milliards de solitudes vivant ensemble. Le monde est à pleurer, pensait-t-il.

Le monde est à pleurer

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