Ça ne devait pas faire plus de deux jours qu’il se trouvait à la capitale.
Pourtant, il pouvait déjà dire que ce n’était pas l’environnement qu’il préférait. Il avait la désagréable impression que la capitale était constamment bondée et que toutes ces personnes savaient qu’il s’agissait d’un nomade et que ces derniers le jugeaient en conséquence. Même si en soi, il se fichait pas mal de ce que les autres pouvaient bien penser de lui et puis il ne prévoyait pas de rester bien longtemps.

En réalité, Eddard pensait prendre un peu de repos en se posant quelque part dans la capitale. Une auberge ou quelque chose dans le même style, un endroit un peu plus confortable du sol qu’il côtoyait très souvent. Ce qui était naturel en tant que nomade, mais il était tout autant naturel en tant qu’être humain de rechercher un peu de confort de temps en temps. Et puis, cela faisait un moment qu’il n’était pas venu à Cassiopeia. Il n’aimait pas la capitale. Il n’aimait pas spécialement Caelestis à vrai dire. Et les rares fois où il s’était déjà rendu à ici par le passé, il prit soin de terminer ses affaires le plus vite possible et décamper tel un voleur.

Pourtant, aujourd’hui il décida de faire un peu le tour de la ville.
Un peu plus tôt, Eddard s’était rendu à l’allée Semitonium. Il s’était même laissé tenter par quelques pâtisseries s’y trouvant. Et les goûts de ces dernières le surprenait toujours, lui qui avait l’habitude de manger des fruits, des plantes et autres choses dans le même style. Bref, rien à voir avec ces mets qui avaient la réputation d’être les meilleures gourmandises du pays.

Sauf qu’il n’y resta pas bien longtemps malgré toutes les choses à redécouvrir. Trop de monde. Et pourtant, il songeait sérieusement à repasser dans un bar le soir même. Et peut-être s’en ira-t-il de la capitale ou même de Caelestis le lendemain qui sait. Mais pour le moment, le jeune Noctem se rendit près des Usines Armis. L’un des seuls lieux qui lui donnait envie de revenir ici. C’est ce qu’il se disait à chaque fois qu’il venait à la capitale. Et à chaque fois il déchantait en voyant les prix exorbitant.

« Tout est vraiment trop cher ici. » Une remarque qui ne manqua pas d’attirer l’attention du vendeur. « Et je suis presque sûr de trouver moins cher ailleurs et de meilleure qualité. » Ce n’était sans doute pas totalement faux, bien qu’il n’ait dit ceci principalement pour la provocation. Il ne fut bien évidemment pas surpris de se voir adresser ce genre de regard qui lui disait de s’en aller en vitesse s’il n’était pas satisfait. Eddard avait l’habitude. Les marchands ne l’aimaient pas trop en général.

Il avait donc fini par aller voir ailleurs.
La meilleure solution qui lui avait sans doute permis d’éviter une altercation inutile. Et puis, il y avait pleins d’autres boutiques à visiter, ça lui prendrait un peu de temps.
Oui c’est vrai, Eddard n’avait pas prévu de rester bien longtemps à Caelestis.
Sauf qu’il ne pouvait prévoir certaine chose. Et il n’avait pas prévu sa présence qui allait sans aucun doute chambouler tous ses plans.

Eddard avait l’habitude de heurter les gens dans cette ville.
À vrai dire, il avait presque l’impression de ne faire que ça depuis qu’il avait mis les pieds dehors. Alors il laissa échapper un léger soupir, exprimant discrètement sa lassitude. Et il prit tout son temps pour baisser le regard et enfin considérer l’énième personne qu’il venait de percuter.

Au départ, il n’eut aucune réaction particulière.
Il lui fallut du temps pour s’en rendre réellement compte. Il fallut quelques secondes avant que son visage ne commence à se décomposer. Comme s’il venait de voir un fantôme. Ça en était effectivement un. Un fantôme du passé. Et le jeune homme se mit à penser furieusement, trouvant et rejetant plusieurs explications quant à sa réaction.

Même s’il avait voulu masquer sa stupéfaction, il n’y serait sans doute jamais parvenu.
Mais en tentant de réfléchir de manière rationnelle, le jeune Noctem se dit qu’il serait peut-être judicieux de calmer ses nerfs, au risque d’effrayer la jeune femme qui sait. Ce serait bête qu’elle s’en aille pour qu’il ne puisse plus jamais la revoir après l’impression qu’elle lui avait donné.

Et apparemment, il lui avait fait un peu près le même effet.
Ils devaient avoir l’air bien intelligent à se fixer ainsi sans un mot. Pourtant, la plupart des passants ne semblait pas réellement se soucier d’eux. Eddard fit un pas en arrière, essayant tant bien que mal de reprendre une expression neutre ou un minimum accueillante, lui-même ne savait pas très bien. « Cette question va sans doute vous paraître étrange mais… »

Elle devait déjà te trouver bien étrange mon cher Eddard. Vu la tête qu’elle faisait. Ma malgré tout, il poursuivit, sentant son cœur battre anormalement vite : « Avez-vous toujours vécu à Caelestis ? » Et son organe creux continuait de tambouriner dans sa poitrine, simplement car la réponse – si elle lui en donnait une – pouvait chambouler toute sa vie.

Elle ne se rappelait de rien, hein.
C’était suspect. Bien trop suspect. Il ne pensait pas spécialement qu’elle mentait, mais juste que sa mémoire lui joue des tours concernant ce moment précis de sa vie était une bien trop grosse coïncidence. Malgré tout, cela ne voulait pas pour autant dire qu’il s’agissait bien d’elle. Eddard avait des doutes, mais ne préférait encore rien affirmer.

« Un renseignement, hum… On peut dire ça comme ça… » Honnêtement, le jeune homme ne se voyait pas lui dire subitement qu’il était Eddard Noctem, fils d’un savant fou qui a sans doute effectué des expériences pas très recommandables sur elle. Sans oublier la partie du petit garçon qui passait la voir souvent en tentant de se lier d’amitié avec elle, n’était autre que lui-même. Ce serait sans doute plus simple, mais ça ne le mènerait à rien. Elle le prendrait sans doute pour un fou.

Eddard ne sut pas tout de suite comment répondre à sa question.
Parce qu’il n’était pas spécialement à sa recherche, mais il ne refusait aucunes informations la concernant. « Moui… Enfin c’est surtout que vous me rappelez une vieille connaissance… » Dans tous les cas, il ne pouvait se tromper concernant la couleur des cheveux. Elle était sensiblement pareille. La couleur de sa chevelure, voilà une chose qu’il ne pouvait tout simplement pas oublier.

« Je dois vous avoir confondu avec quelqu’un d’autre. » Après tout, il était assez peu probable qu’il rencontre une amie d’enfance par un curieux hasard et en plus dans la grande capitale qu’était Cassiopeia. « Ou peut-être pas… » Car oui, cette histoire de souvenirs floues laissait planer un doute. Et peut-être qu’au fond, Eddard voulait que ce soit bien vrai.

Comme si le fait qu’elle ressemble à une amie d’enfance ne suffisait pas, il fallait encore qu’elle fasse partie de la garde royale. Ça n’arrangeait pas vraiment la situation, sans forcément la rendre pire dans l’immédiat. Mais qui sait quelles conséquences cette « révélation » pourrait avoir ? « Je sais pas. Je ne connais même pas son prénom. » Ok merci, ça aide beaucoup Eddard. En tout cas, à te faire passer pour un idiot sans doute.

À défaut de pouvoir l’identifier par son prénom, le jeune homme tentait de trouver une caractéristique physique qui aurait pu confirmer ses suppositions. Il la regardait donc avec insistance, sans gêne ni même détourner les yeux ne serait-ce qu’une seconde. Une situation des plus étranges, il fallait l’avouer. Tout comme cette rencontre fortuite.

Il n’avait pas fait attention à ses barrettes.
Jusqu’à ce qu’elle le lui montre. Eddard n’avait pas réagi tout de suite. Son regard restait fixé sur ces fameuses barrettes. Barrettes qui, après quelques secondes d’absence, lui parurent bien trop familières. Et maintenant, la surprise pouvait aisément se lire sur son visage. Il aurait cru sentir son cœur quitter sa poitrine. Maintenant, c’était beaucoup trop gros pour n’être qu’une simple coïncidence. « Je vois… » Eddard n’avait presque aucun doute désormais. Mais, que faire maintenant ?

Elle ne se souvenait de rien.
Du moins, c’est ce qu’elle lui avait dit. Alors que pouvait-il lui dire ? Lui raconter toute l’histoire peut-être. Sauf que ça ne semblait pas être la meilleure des possibilités. Elle le prendrait sans doute pour un fou. Lui-même douterait presque de sa propre santé mentale. « Je les ai déjà vu avant. Il y a bien longtemps. » Bientôt vingt ans. Vingt longues années et pourtant, il n’avait jamais oublié. Ses souvenirs étaient peut-être un peu flous, mais le jeune homme n’avait aucun doute concernant la couleur de sa chevelure et les barrettes.

« Nous nous sommes probablement déjà rencontrés par le passé. » Il avait l’air tellement convaincu d’un coup. Pourtant, bien qu’infinitésimale, une part de doute subsistait toujours en lui.

Il comprenait son désarroi.
Il s’agissait là d’une réaction tout à fait légitime. On lui avait sans doute dit depuis sa plus tendre enfance que rien n’avait d’importance si ce n’est que la vie qu’elle menait actuellement. Que ce qui lui était arrivée auparavant était parfaitement anodin. Et au fond, Eddard comprenait parfaitement que l’on désire lui cacher cela. Et désormais, il commençait a douté de ce que pourrait lui apporter la stricte vérité. « Elle n’avait pas plus de six ans la dernière fois que je l’ai vue. » Il se rappelait plus ou moins des paroles de son père quant à l’âge de la jeune fille.

Encore un fait qui balayait ses doutes. Ça ne pouvait pas juste être une coïncidence. Et pourtant, tout cela semblait bien trop gros pour être vrai. Pourquoi l’aurait-il rencontré aujourd’hui, à cet endroit précis après presque vingt ans sans aucunes nouvelles ? Comme on dit, le hasard fait bien les choses. Il avait expiré doucement alors qu’elle cherchait à savoir qui il pouvait bien être. Et, plus posément qu’il ne l’aurait lui-même cru, le jeune homme répondit : « Eddard Noctem. »
Il ne savait pas si quiconque se souvenait encore de ce nom après tant de temps. Elle ne devait même pas le connaître de toute manière, elle qui ne se souvenait de rien le concernant. Et elle n’avait pas l’air de vouloir s’en souvenir.

« Mais je doute que ça vous dise quoique ce soit. Je me trompe ? » Eddard n’était pas une personne qui s’était réellement fait un nom. Au contraire, il avait plutôt tendance à se montrer discret. De plus, ce dernier savait parfaitement qu’il devait éviter de mentionner ce nom hérité de son père devant n’importe qui. Même après tant d’années, mieux valait se montrer prudent. Pourtant, il lui avait dit, à cette « parfaite inconnue ». Sans doute en espérant que cela lui rafraîchisse la mémoire. Inconsciemment. Égoïstement.

« Personnellement, je n’ai quasiment plus aucun doute concernant ce que j’avance. Mais si vous ne voulez pas en savoir plus, je ne vous importunerez pas plus longtemps avec ça. » Car après tout, Eddard n’avait aucun droit de débarquer à l’improviste et chambouler sa vie de cette manière.

Il s’en était douté. Étant petit, il lui avait pourtant déjà dit son nom à un moment ou un autre. Du moins, il pensait. Ce n’était pas la chose à laquelle ce dernier avait vraiment fait attention à l’époque et il n’était même pas sûr qu’elle l’ait écouté à ce moment-là. « Tris- » Mais Eddard fut interrompu par cette main désormais posée sur son épaule. Disons que ce contact soudain était… Déconcertant.

Pourtant, le jeune homme n’avait pas bougé, comprenant que quelque chose n’allait pas. Elle avait bien plus chamboulée qu’il ne l’aurait cru. « Non, vous ne rêvez pas. » Ce n’était pas un rêve. Il le disait, l’air si sûr de lui et pourtant il peinait à réellement convaincre sa propre personne. Mais le plus important était de si oui ou non il voulait que ce soit un rêve. Honnêtement, Eddard penchait largement vers la deuxième option.

Eddard n’avait fait que soutenir son regard avant qu’un léger sourire ne s’installe sur son visage. « Enchanté, Rhéa. » Et intérieurement, il s’amusait du fait qu’il n’apprenne son prénom que maintenant alors qu’il prétendait être un ami d’enfance. Mais au final, ce serait stupide de chercher une quelconque logique à ce qui les liait.

« Eh bien, j’y répondrai du mieux possible. » Eddard détourna finalement la tête, analysant les alentours et réalisant enfin qu’ils ne laissaient pas les passants indifférents. Ce genre de situation ne pouvait qu’attirer l’attention d’autrui. « Mais je doute que ce soit le lieu approprié pour ça. »