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Ruminant sa haine et sa rancoeur, drapée dans son amertume et protégée de toute onde positive, Chasseuse traverse le territoire souterrain, caresse les feuilles sans les apercevoir, vagabonde comme une âme en peine. Morte. La louve est morte, cédant à Kira ses rejetons ; ajoutant le poids de leur vie su ses épaules. La tension a grimpé en flèche, l'idée de les abandonner à la meute principale avait chatouillé son esprit – mais qui sait ce qui leur arriverait ?

Indécise, assise au milieu de la forêt, elle soupire, éjecte ses problèmes dans un souffle rauque. La fatigue strie ses yeux de cernes, son esprit semble imploser sous le trop-plein de pensée. Quand les autres s'inquiètent pour ce qu'elle considère des futilités, elle se ronge le sang pour des animaux supposés indépendant.

Pitoyable, pitoyable Kira. Elle caresse son bras enveloppé de bandages, l'âme en ébullition ; paradoxalement désintéressée, elle en oublie de chasser. Elle regarde les animaux passés, se délecte de ce morceau de sérénité comme un addict après des mois d'abstinence. C'est toujours au pire moment que la solitude profonde se fait ressentir, à l'instant où elle se doit d'être intransigeante que ses propres sentiments refont surface.

Elle a mal, la petite louve, mais qui s'en soucie ? Elle voudrait enfoncer ses ongles dans sa poitrine, dans son crâne, molester ces émotions qui n'ont rien à faire dans un corps de chasseuse. Excessive, excessive et paradoxale ; elle voudrait qu'on la plaigne, qu'on la prenne en pitié. Qu'on lui donne un alibi pour égorger quelqu'un.

Et que les paroles d'humains lui transpercent le cerveau, déchirent son esprit. Elle passe une main lasse sur son visage, tentant vainement d'effacer ses soucis. Un juron traverse la barrière de ses lippes dévorées d'inquiétude ; un « merde » murmuré au coeur du silence de la forêt, un éclat de rage que seule la nature aura entendu.
Du moins au premier abord.
Crack – une branche se brise, le bois manifeste sa douleur dans un hurlement sec. La louve grogne.

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Le bruit l'ennuie. Les craquements la dérangent. Et la présence l'emmerde, tout simplement. Son grognement ne s'arrête pas tant qu'il lui reste un semblant d'air au fond de la gorge. Mais jamais elle n'aurait pu deviner de qui il s'agissait.

Et elle ne s'est même pas retournée, espérant qu'en reconnaissant Chasseuse, l'intrus allait s'en aller. Mais au lieu de ça, des bras s'enroulent autour de sa taille, la serrent et lui arrachent un frisson – surprise, plaisir, dieu seul le sait. Elle ne réagit pas immédiatement, la caresse procurée à ses cheveux dévastant tout sur son passage. Merde, merde, merde.
Sa respiration se bloque par réflexe, les contacts physiques installant une profonde panique au coeur de son cerveau. Dégage, dégage, dégage.

« Oh, Kira, je pensais ne jamais te rencontrer à nouveau. J'espère que tu te souviens encore de moi ? Je n'aime pas qu'on m'oublie. »

Ravalant consciencieusement un gémissement indéchiffrable, elle ne se dégage même pas, sans pour autant laisser transparaître quoi que ce soit. Parce que non seulement elle se souvient de lui, mais qu'en plus elle en éprouve presque de la peur ; une peur viscérale, qu'elle a ressenti la première fois que leurs regards se sont croisés. Un sourire peu rassuré se dessine sur ses lèvres, elle déglutit.

« Aha, Aamon.. Quelle hum. Surprise ? Elle fait une pause et se permet même de s'appuyer un peu contre lui, comme si elle lui faisait totalement confiance – alors que tout son corps était aux aguets, prêt à parer le premier geste déplacé. Non, je t'ai pas oublié. Comment oublier un type pareil ? Qu'est-ce que tu veux ? »

Coup de langue passé sur ses lippes sèches, elle s'écarte doucement pour le voir, le coeur battant à tout rompre. De la peur, de la haine, de la surprise ou quelque chose de plus vicieux – elle n'en sait rien, et c'est ça qui la dérange le plus. Ses pupilles se plongent dans celles du brun l'espace d'un instant, tentant vainement de déchiffrer son expression ; son objectif.

Elle se racle la gorge et reste stoïque, en face de lui – mais à l'intérieur, la bataille fait rage. Si seulement elle trouvait un moyen de s'éloigner de ce putain d'aimant.

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Son odeur envahit les narines de la louve, la poussant déjà trop proche de limites qu'elle n'ose pas nommer. Un brasier s'allume dans ses yeux, elle embrasse du regard la silhouette du brun – concentre-toi, Kira, ne le laisse pas gagner. Bats-toi, bats-toi.

« Parce qu'il faut vouloir quelque chose pour venir aborder quelqu'un, maintenant ?
- Quand c'est toi, oui. »

A peine finit-elle sa phrase que les doigts d'Aamon brisent sa bulle de protection, s'infiltrent dans son espace personnel pour la forcer à le regarder. Elle se sent prise au piège, comme une souris entre les pattes d'un chat ; et cette sensation désagréable est accompagnée du désir fébrile d'arracher la langue de cette arrogante créature.

« Je ne fais que venir te saluer. Tu es toute seule à cette heure-ci ? Tu n'as pas peur que le grand méchant loup vienne te dévorer, hm ? »

C'est un sourire carnassier qui fend son visage ; sans un bruit au début, elle se redresse de toute sa faible hauteur et le toise d'un air suffisant – hors de question de le laisser gagner ne serait-ce qu'une miette de terrain. Les griffes de la louve s'accrochent à la veste du brun, elle glisse sur la pointe des pieds pour susurrer à son oreille d'un ton presque prédateur ;
« J'ai peur de rien. Et tu sais pourquoi ? Parce que le grand méchant loup, c'est moi. »

Elle appuie les dernières syllabes, comme on tourne la lame d'un couteau dans la plaie d'un ennemi. Et elle reprend sa place initiale, sans lâcher le vêtement ; ses ongles plantés dedans – pour le rapprocher ou l'éloigner ? Elle n'en sait rien elle-même. Elle poursuit sur la même intonation, à la limite du grondement.
« Tu n'as vraiment aucun but, Aamon ? »

Non seulement ce n'est pas son genre, mais en plus, il pue le mensonge à des kilomètres. Le feu qui brûle au fond des yeux de Kira menace de la consumer toute entière, alors qu'il n'a même pas encore vraiment posé la main sur elle.
Il ne gagnera pas ce petit jeu puéril.

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Dangereuse Kira, provocant l'ennemi sans penser aux conséquences ; elle voudrait s'enfuir sans demander son reste, la queue entre les pattes et la mine basse. Mais rien n'y fait, un orgueil et un amour-propre secs l'empêchent de bouger, de laisser ne serait-ce qu'un centimètre de terrain à Aamon. Et leur danse immobile reprend, le bal infernal entraîne une nouvelle fois la louve.

« Disons que je veux simplement trouver le bonheur. Trouver l'amusement.
- J'peux t'aider. Tu continues tout droit, et tu tournes à gauche quand tu tombes sur le panneau « Va t'faire foutre ». »

Son sourire s'élargit, dévoilant des crocs étincelants. Oh, Aamon, ne t'attends pas à de la soumission ; elle est loin d'être là pour te faire plaisir. Le bonheur, l'amusement – c'est pas à ses côtés que tu les trouveras. La curiosité la dévore de l'intérieur. Pourquoi est-il venu ? Par pur hasard ? Son côté familier l'écoeure autant qu'il l'attire. Et Kira ne peut s'empêcher de répondre, autant physiquement que vocalement ; une partie de son corps brûle d'être en contact avec ce monstre.

« Et toi, quel est ton but ? Je meurs d'envie d'en connaître un peu plus sur Kira la sauvageonne. »

Elle ne répond pas immédiatement, détaillant, décortiquant le visage d'Aamon. L'envie de lui dévorer la gorge se fait pressante, un désir viscéral de l'entendre hurler sa douleur – Earthea seul sait ce qui pousse Kira à le détester à ce point, à vouloir le voir la supplier. Peut-être est-ce son influence sur le mental de la louve. Peut-être pas.

« Je cherche le petit chaperon rouge. »

C'est à peine murmuré, sur un ton stoïque ; elle le contourne et s'installe sur une pierre, éloignée et on ne peut plus attirée. Attirée par ses veines, attirée par sa silhouette si frêle. Et pourtant elle ne le touche pas.
« Mais il ne s'est pas encore présenté. Si tu veux en savoir plus, c'est pas gratos. Alors dis-moi, Aamon.. C'est quoi, le bonheur, pour toi ? »

Elle le transperce du regard, une pointe d'intérêt au fond des yeux.

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« Le bonheur ? C'est lorsque quelqu'un me permet de rire aux éclats et de me satisfaire pleinement. »

Son palpitant rate un battement, en particulier en le voyant s'installer à ses côtés ; il commence son jeu de couteau et elle ne regarde même pas, plus inquiète pour la suite que pour sa main – une blessure au couteau n'est rien comparé à ce qui pourrait lui arriver. Son regard dérive parfois vers la lame, sa danse titillant les pupilles de la louve. Une certaine tension s'installe entre eux, la répulsion jaillissant de Kira quand elle remarque finalement qu'il prend son pied en frôlant ses doigts ainsi.

« Le bonheur, c'est comme quand j'ai commis mon premier meurtre. Quand j'entendais la joie dans leur cri, ma vengeance se combler et mon coeur battre à toute allure… c'était presque comme de l'amour. Kira, tu sais ce que c'est, l'amour ? »

Elle déglutit. Si la première partie de son discours ne la surprend plus – elle-même ressent une certaine satisfaction à sentir la vie s'échapper sous son canif – la seconde fait tambouriner son coeur au fond de sa poitrine. Il a toujours eu le don de la mettre mal à l'aise, de la surprendre et de la perturber à un point qui frise l'indécence.
Mais cette fois, elle ne le laissera pas faire.

Son visage se fait emprisonner par les doigts fins du brun, il glisse quelques mots à son oreille qui la font se mordre la lèvre inférieure.
« Je pourrais te le faire connaître. Je pourrais te montrer l'addiction, le vice, le péché et le bonheur. »

Sa respiration se fait un poil plus saccadée, elle serre les poings mais ne se démonte pas immédiatement. Un nouveau rictus sauvage taillade son faciès, elle s'appuie sur sa main pour se redresser avec la rapidité d'un serpent ; l'oreille d'Aamon se fait aussitôt attaquer par une infime morsure, avant que la louve ne reprenne d'une voix légèrement rauque.

« L'amour ? Jamais testé. T'es bien confiant, t'es sûr de pouvoir me faire découvrir tout ça ? T'en as l'étoffe, Aamon ? »

Murmurant son nom comme si c'était la pire des insultes, elle souffle doucement dans son cou. Son manque d'assurance se fait sentir quand elle tente de reculer par pur réflexe – si ses joues ne se teintent pas de gêne, sa lippe inférieure se fait dévorer par des canines presque embarrassées.
Elle joue avec le feu, et la brûlure risque d'être violente.

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C'est à l'instant où elle sent le corps d'Aamon se tendre de douleur qu'un panneau Danger illumine son esprit – rouge, clignotant, il lui hurle de s'enfuir et de mettre de côté sa connerie d'arrogance pour penser à survivre.
Mais elle ne bouge pas d'un millimètre, toujours affublée de ce sourire narquois ; sourire qui vacille quand il l'écrase contre la roche. Une pic de douleur explose déjà dans son dos, la surface dure du matériau s'enfonçant sèchement dans sa colonne vertébrale. Là où la plupart des donzelles, à ce genre de moment, poussent des couinements et des hurlements stridents de peur, Kira laisse échapper un grognement de rage, qui se mue en chuintement quand la lame entame la peau tendre et fragile de sa gorge.
Point sensible.
Elle se serait dégagée d'un coup sec si la langue du brun ne lui avait pas coupé le souffle. Se haïssant en retenant un bruit qu'elle n'osait nommer, elle réfléchit à toute vitesse avant de bouger – si elle va trop vite il va tout simplement lui trancher la jugulaire, et si elle est trop lente elle va finir par subir une forme de torture dégoûtante.

« L'étoffe ? J'ai bien plus que ça. Ses doigts fins viennent élargir la plaie, faisant gronder la louve. Elle ferme un œil, l'autre bloqué sur son adversaire comme si sa vie en dépendait – et peut-être est-ce le cas. Regarde, n'est-ce pas une belle preuve ? »

L'odeur de l'hémoglobine s'infiltre entre eux, agrémenté du parfum naturel des deux protagonistes ; Kira jette un regard à ses jambes emprisonnées et réagit enfin, menée par une pulsion d'adrénaline au fin fond de son corps. Son poing se serre et s'enfonce sèchement dans l'estomac d'Aamon, les articulations craquant légèrement – sans attendre une seule seconde, elle referme ses serres autour de sa gorge, les griffes grattant la peau avant de s'y planter d'un même ensemble.
Son sourire revient, moqueur, à peine affaibli. Inconscient.

« C'est beau d'y croire, ton espoir est presque poétique. Mais je suis pas aussi facile. »

Ses lèvres viennent remplacer ses doigts, la langue léchant le liquide vermeil de la même façon que lui plus tôt. Si elle savoure le goût, elle ne se déconcentre pas et enroule ses griffes autour du poignet armé d'Aamon.
La proximité la dérange, il est beaucoup trop proche et a envahit son espace vital ; le contact continu de leurs corps fait vriller le palpitant dans sa poitrine. Recule, recule, recule.

Mais rien à faire, ses jambes ne parviennent même pas à remuer d'un centimètre. Idiote, elle a réagit sur un coup de tête et les répercussions vont la terrifier. Son visage remonte pour affronter narquoisement Aamon ; l'un en face de l'autre, séparés par quelques centimètres de vide.
« T'as pas l'étoffe, Aamon. Tu l'auras jamais. »

Personne ne l'aura. Pas pour Kira.

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Elle ravale difficilement sa salive, regrettant déjà chacun de ses actes. Mais la danse est entamée, seul le plus impitoyable en sortira plus ou moins indemne. Le rire qui s'échappe d'Aamon lui glace le sang sans qu'elle le laisse paraître, passant un coup de langue fébrile sur ses lèvres.
« D'accord, d'accord, j'accepte cette défaite… Je ne l'aurai jamais. Soit. »

Au lieu du soulagement qu'elle aurait du ressentir à ces paroles, c'est une répulsion et une méfiance qui recouvre son épiderme de chair de poule. Perdus au fin fond de la forêt, il pourrait l'égorger sans que personne ne s'en rende compte ; mais pas sans qu'elle se batte jusqu'à la fin. Le coeur battant à tout rompre, le sang palpitant contre ses tempes.

D'un coup de couteau il découvre Kira dans toute son obscène intimité, offrant à la nature et à ses yeux la vue d'un corps probablement trop frêle pour ce qu'elle semble accomplir en tant que chasseuse. L'embarras et la panique s'installent, la lame caresse douloureusement son enveloppe corporelle.

Et l'instant d'inattention est suffisant pour qu'Aamon passe une langue ardente sur sa poitrine. Le filet de sang s'échappant de sa gorge se fait aussitôt aspirer, le sillon que son muscle buccal laisse donne à Kira la désagréable impression d'être brûlée par un fer ; paradoxalement, la fraîcheur qui s'y installe lui arrache un frisson.
Frisson d'une nature qui l'effraie plus que tout au monde.

« Mais je peux avoir bien d'autres choses. N'oublie pas mon but, ma Kira. Je veux le bonheur.
- Et j't'ai dit que le bonheur était pas ici, Aamon. »

Malgré sa résistance, ses joues se teintent d'une couleur rosée plus prononcée que le reste de son corps. Les poignets emprisonnés par une poigne d'acier trempé, elle réagit impulsivement et enroule ses jambes autour du bassin du brun pour se redresser, serrant à s'en briser les os. Le contact de son corps la dégoûte autant qu'il fait partir son palpitant en vrille ; elle essaye d'effacer ces pensées sordides de sa tête mais rien n'y fait. Il y a quelque chose qu'elle désire sans être capable de l'avouer réellement.

C'est quand il aspire son sang de quelques succions bruyantes qu'elle craque, laissant un couinement s'échapper d'entre ses lèvres. Sa respiration se fait plus haletante mais elle tient le coup, subit sans broncher. Sentir sa propre hémoglobine quitter son corps est une sensation qui la laisse pantelante, aussi bien par la douleur qu'elle en ressent que par la marque qu'elle sent se former autour de la blessure. Un rictus étire ses lippes ; inconsciente.

« C'est tout c'que t'as ? Faible. »

Serrant sa carcasse contre la sienne, elle roule pour inverser les positions, d'une poussée qui lui arrache un grognement dans l'effort ; une fois plus ou moins au-dessus, elle s'apprête à attaquer – mais la prise de conscience est comme un coup de fouet. Parce que Kira et accroupie au-dessus du pire des hommes que la Terre ait enfanté, à moitié nue et l'épiderme recouvert de sang et de salive. Elle déglutit mais ne faiblit pas totalement, profitant de sa position pour dégager ses poignets.

Sa propre lame prend appui sur la gorge du brun, sans qu'elle ne la plante réellement. Une simple piqûre, un picotement pour qu'il partage ce qu'elle-même ressent actuellement.
« Je pourrais trancher ta jugulaire d'une simple torsion… Elle se penche et effleure son nez du sien, sans se départir de son sourire. Les doigts de sa main libre viennent caresser la veine dont il est question, grattant du bout des griffes. Je veux le voir, le bonheur. L'expérimenter. »

Et elle attend, à quelques millimètres de son visage, leurs souffles se mêlant déjà.

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« Oh oui, tue-moi Kira. Découpe-moi, je n'attendais que ça. » Son ton vrille dans les oreilles de la louve, le sens de ses mots la giflent métaphoriquement. Sa lame tremblerait presque ; pourquoi elle ne fend pas sa peau, pourquoi elle ne l'égorge pas ?
Elle-même n'en est pas sûre – de la pitié, de la fascination. L'absence d'envie de satisfaire le souhait qu'il vient de formuler. Oui, sûrement. Il est hors de question qu'elle lui offre ce plaisir. Elle a besoin, besoin de lui faire mal, de venger sa pudeur massacrée. Et c'est dans ce désir violent qu'elle serre le manche de sa lame comme si sa vie en dépendait, hésitante, confuse.
Merde.

« Expérimenter le bonheur ? Pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ? Tu vas presque me faire rougir, Kira.
- La ferme. »

Incapable d'assumer ses propres envies, d'admettre qu'elle vient réellement de lui demander une telle chose. Son propre visage devient cramoisi – non non non. C'était sur le coup, elle n'en pensait pas un mot. Son sourire l'agace, son existence l'agace. Elle pourrait y mettre fin, elle pourrait déchirer cette gorge palpitante qui ne semble attendre que ça.

Et pendant qu'elle cogite, qu'elle s'embrouille toute seule, il l'attaque sans se départir de son rictus profondément frustrant. Leurs lèvres s'entrechoquent et un millier d'étincelles explosent au creux de l'estomac de Kira, les yeux écarquillés. Oh petite louve, ne fait pas comme si tu n'en étais pas responsable. Ses paupières se ferment par réflexe, elle ne bouge pas d'un millimètre et le laisse guider ; la surprise la paralyse, le concept massacre le peu de raison qu'il lui restait.

Le mordillement exercé sur sa lèvre inférieure achève la conscience, maîtrise la haine et la mue en un sentiment plus profond, plus acide. Sa lame dévie, coupant légèrement la gorge du brun dans un geste similaire à celui qu'il a exécuté plus tôt. Faible, elle s'abandonne quelques instants à ce baiser insensible, les doigts qui caressaient auparavant sa gorge s'attardant maintenant sur son menton.

Au bout de ce qui lui semble une éternité, elle recule enfin et rouvre les yeux, passant un coup de langue fébrile sur ses lippes bafouées. Son instinct de survie s'allume en même temps mais son corps refuse d'y répondre, agité par sa propre volonté ; elle offre une lente caresse humide au cou de ce qu'elle aimerait considérer comme sa victime, nettoyant l'hémoglobine pour y laisser sa propre marque, sa propre salive.
Quelques gouttes rouges tombent, elle-même n'a aucune idée de ce qu'elle fait.

Peut-être est-ce simplement le désespoir d'être seule qui l'a poussée à ne pas trancher cette veine offerte. Ses doigts de nouveau refermés autour de cette dernière, elle lance un regard brûlant à Aamon, un éclat prédateur d'un tout autre genre dévorant ses pupilles.
Elle chuchote, incertaine sur les capacités auditives de ce grand malade.
« J'ai envie de te dévorer. »
Et ça lui fait peur. Trop peur.

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« C'était ton premier baiser ? J'espère que tu as trouvé ça romantique. Un sourire carnassier déchire les lèvres de la louve, elle grogne. C'était exactement comme je l'imaginais. Dégueulasse. » Repoussant toute forme de plaisir, toute once de désir au fin fond de son esprit, elle se concentre sur la douleur et la haine, essayant de les booster en le dévorant du regard.

Mais à peine a-t-elle le temps de finir sa phrase qu'il l'entraîne dans une chute purement douloureuse – elle pousse un cri de surprise et tente dans un réflexe stupide de s'accrocher aux branches, ne récoltant de ce geste que de nouvelles griffures. Les yeux fermés pour les protéger, elle s'écarte le plus possible de l'étreinte d'Aamon, dégoûtée ; mais il a plus de force que ce qu'elle pensait. Et elle atterrit durement contre lui, dans un couinement de douleur.

Les deux contraires s'entrechoquent, elle se redresse dans un grognement furieux, son agressivité claquant au visage du brun. « T'aimes peut-être morfler, mais c'est pas mon cas ! » Essuyant dans un mouvement sec les gouttes de sang qui coulent sur ses joues égratignées, elle lui grogne presque au visage, le coeur battant à tout rompre. Son enveloppe charnelle toute entière la picote, le dos lacéré par les branches mortes ; si elle avait encore eu sa tunique, elle n'aurait pas autant pris.

Cachant pudiquement sa poitrine nue, elle garde son arme dans la main droite et ne lâche pas son adversaire des yeux, assise sur lui sans aucune gêne. Un mouvement qu'elle n'apprécie pas et elle l'ouvre quelque part, peu importe où. Elle jette un rapide coup d'oeil au-dessus d'elle, agacée – non seulement la chute a été rude, mais surtout, surtout, ça l'a éloignée du chemin.
Pas qu'elle ait peur d'être perdue.
C'est surtout qu'être seule au fond d'un ravin avec Aamon ne la rassure pas. Pourtant, elle n'a pas envie de partir à proprement parler. Passant un fin coup de langue sur ses lèvres, elle détourne les yeux dans un geste bien trop féminin à son goût – pauvre gosse, on vient de lui arracher son premier baiser. Et elle sait même pas comment le prendre.

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Le danger s'immisce, abat les défenses de Kira et la met à nue, l'offrant presque sur un plateau à Aamon. Elle ne supporte pas cette douce frayeur, cette inquiétude de ne pas survivre quelques minutes de plus à ses côtés ; et c'est la haine de ses propres émotions qui la pousse à vouloir le déchirer, le réduire en charpie et peut-être même donner son cadavre à ses petits protégés lupins. Oh, ces tendres idées câlinent son esprit avec la douceur d'une mère.
Et elle devient folle, petit à petit ; L'insanité d'Aamon la contamine, comme le poison d'un serpent.

Kira a été mordue.
« Ce n'est pas mon cas non plus. Cette petite descente ne t'a pas plu ? Il n'y a pas de parcs d'attractions à Earthea alors j'improvise ?
- La ferme. »

C'est sec, lâché entre deux halètements – les pics de douleurs brûlent son corps, elle voudrait se plonger dans un bain pour nettoyer toute cette hémoglobine qui la tache ; pourtant, elle reste immobile. Earthea seul sait si elle incarne le prédateur ou la proie à cet instant.

Passer la nuit sous la belle étoile, avec lui.
Drague.
Hésitation.
Baiser.

Dans un réflexe désespéré, elle frappe sa main et n'essaye même pas de profiter de ce contact – parce qu'une part d'elle lui hurle qu'il va rouvrir ses blessures, lui faire crier sa souffrance et abuser d'elle. Tendre Kira, réduite à l'état de gamine devant ce frêle brun.
Pathétique.

Pourtant, elle est déchirée entre les deux idées. Partir équivaudrait non seulement à admettre qu'il l'a terrifiée, mais aussi à affronter tous les prédateurs de la forêt sur le chemin. Et en étant tachée de sang… Elle n'aura certainement aucune chance.
Mais rester risquerait de lui coûter l'équivalent de sa vie. Elle réfléchit à toute vitesse et finit misérablement par retirer sa lame – sans pour autant la ranger dans son fourreau.

« C'est dur à admettre, mais tu as raison. Si on essaye de rentrer, on sera traqués par toutes les bêtes de cette forêt. Elle fait une pause, le temps de s'écarter et de courir son corps à moitié dénudé avec sa fourrure pâle. On peut faire un campement. Mais tu restes loin de moi. »

Le dos tourné, elle fouille les petites sacoches accrochées à ses hanches et jette un coup d'oeil en haut, agacée. « Si t'avais été moins con, on serait encore là-haut. J'ai laissé mon sac là-bas. »

Elle plante son couteau dans la terre sèche et lui offre un ultime regard, profondément haineux.
« J'espère que tu crains pas le froid. »

S'enroulant dans sa fourrure, elle s'assoit devant son arme et l'observe d'un air vidé. Allumer un feu serait trop dangereux, et chercher un lieu où la chaleur serait adaptée mettrait trop de temps.
Les heures vont être longues.

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Et à peine jure-t-il qu'il brise sa promesse en reprenant la parole.
Et en qualifiant Kira de mignonne.

Dans un réflexe de pur agacement, elle le foudroie du regard et fait nerveusement craquer ses phalanges, hésitant entre lui ouvrir le ventre et juste l'ignorer.

« Tu peux venir si tu retires ce que tu as dit. J'ai rien de mignon. Les mignons, c'est les faibles. Alors ferme ta gueule, Aamon. »

Oh oui, elle rage, elle transpire la haine et la frustration. Déroulant sa fourrure gigantesque pour lui offrir une place à contrecœur – simplement parce qu'avoir sa mort sur la conscience ne sera qu'un problème supplémentaire. Réfugiée au bord de sa couverture, elle retient un frisson et récupère son arme pour la replanter devant elle, dépitée.

« Faut pas qu'on dorme tous les deux. Légère pause, le temps de remettre en place le peu de vêtements qui lui reste. Je prends le premier tour de garde. Dors, j'te réveille plus tard. »

Pas un regard ne lui est adressé, Kira se détourne et se contente de rester immobile, aux aguets. Surveillant aussi bien le brun que les potentiels prédateurs autour, elle colle ses genoux contre sa poitrine et case son menton entre ces derniers, profondément agacée.
Dire qu'elle voulait juste passer un peu de temps tranquille.

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Encore cette proximité désagréable, ce contact prolongé qui la dérange intensément. Elle serre les crocs et s'écarte de façon imperceptible, par pur contradiction – hors de question de soutenir un être aussi insipide. Surtout quand on sait qu'il est capable de vous ouvrir en deux parce qu'il trouve ça poétique.

« Avec un tel regard, je pourrais te laisser m'éventrer sans sourciller.
- Alors bouge pas, j'vais vérifier l'état de tes organes fais-moi confiance. »

Elle-même reste dans une immobilité statique, seuls ses doigts caressent le manche de la lame plantée dans le sol dur. Et ils se resserrent avec la force d'un cobra autour de cette dernière, dès l'instant où l'intrus s'écrase contre son épaule. Electrifiée, elle ne tourne même pas la tête – renifler son odeur dégoûtante ne l'inspire pas vraiment.

« Si tu me tues durant mon sommeil, j'en serais profondément déçu, ma Kira.
- Si je voulais vraiment te tuer, je l'aurais fait dès le début. »

C'est à peine murmuré, comme un reproche envers sa propre sympathie. Incertaine, elle n'ose pas admettre que non, elle n'a pas l'envie de lui arracher la vie – même si cette perspective aurait dû l'exciter et la ravir, elle n'en ressent qu'un maussade dégoût.
Et ça la perturbe, ça l'énerve ; presque assez pour qu'elle s'ouvre les doigts contre le canif.

Léger coup d'oeil bravant un nombre exaspérant d'interdits, elle observe le faciès détendu du brun. Et elle le trouverait presque beau, à sembler dormir – ça réveille l'ombre d'un sourire sur la face de Louve, ça lui donne le tendre désir de repousser les mèches sombres qui couvrent le visage d'Aamon. Mais elle se contente de remettre son épaule en place, elle remue n peu et ravale un grognement frustré – il va lui bloquer l'os, ce con.

« Aamon, bouge. Tu m'fais mal, et t'es lourd. »

Pas un seul instant, l'idée de le repousser elle-même ne fleurit dans son esprit embrouillé.

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« Oui, je suis lourd : lourd de tout mon amour pour toi.
- Ta gueule. »

C'est craché avec un mélange de haine et de gêne ; pas qu'elle soit franchement embarrassée, juste que c'est pas le moment de sortir ce genre de conneries. Et son rire l'énerve, lui donne envie de se lever et de rentrer au milieu de la nuit – les bêtes sauvages semblent presque plus attrayantes que le grossier personnage à ses côtés.

« Bon, ok, je suis effectivement un mauvais acteur quand il s'agit de se comporter comme un bel adolescent tout droit tiré des films à l'eau de rose. Tenir un couteau me va nettement mieux. Cependant, je suis d'humeur calme, alors je préfère discuter avec toi plutôt que de te laisser monter la garde toute seule. Désolé pour toi, je ne te laisserai jamais tranquille. »

En d'autres circonstances, ces mots ne lui auraient fait ni chaud ni froid ; elle se fiche totalement qu'on la suive, qu'on l'admire ou qu'on la fasse chier en permanence. Les louveteaux font la même chose que des petits enfants Earthiens, concrètement ça ne la dérange pas. Mais quand c'est lui qui lui susurre cette jolie phrase au coeur de la forêt et du noir, elle en ressent des frissons désagréables – comme si elle avait la douce peur que, justement, il l'abandonne.
C'est dans ces instants-là qu'elle se surprend à être beaucoup plus « humaine » qu'elle ne le voudrait.

Les doigts du brun caressent gentiment ceux de Kira, sans qu'elle l'en empêche. Elle sait, mieux que quiconque, que tenter de se soustraire à son emprise relève de la provocation pure et dure. Et ses yeux semblent la fouiller, décortiquer chaque couche de sa personnalité – la question résonne dans le silence, lui posant une colle. Alors elle plante fièrement ses iris dans ceux d'Aamon, se rapprochant pour souffler contre son visage.

« Les flammes m'attirent bien plus que toi. »

La réplique puérile s'écrase sur lui alors qu'elle recule dans une inspiration, détournant le regard pour se concentrer sur ledit feu ; elle qui a toujours préféré l'absence de bruit, le calme plat, il l'ennuie plus encore que d'ordinaire. Et pourtant, dans un geste aussi compulsif qu'inattendu, elle enroule ses doigts autour des siens, cherchant une petite source de chaleur au creux de ces maigres phalanges.

Son couteau reste planté dans le sol, droit comme un piquet – elle resserre les jambes contre sa poitrine dans un léger frissonnement, plongeant par la même occasion la tête dans ses fourrures. « Si t'es pas fatigué, monte la garde. J'ai pas envie de parler, fous-moi la paix. »

Le ton plus chevrotant qu'elle l'aurait voulu, elle se sent mal à l'aise, mal à l'aise d'avoir attrapé ses doigts, de refuser instinctivement de les lâcher – c'est pas désagréable, de sentir une présence. Il suffit d'oublier qui est-ce, de se dire que ça n'est qu'un ami, une personne sur laquelle on pourrait compter si on était perdu entre des dizaines d'arbres.

Mais Aamon n'est probablement pas ce genre de personnes. Aamon la terrifie autant qu'il l'attire. Aamon est comme le feu ; elle meurt d'envie de le toucher mais, dès qu'elle va trop loin, qu'elle se laisse aller à ses désirs infantiles, il la brûle et la fait reculer aussi vite qu'elle s'est avancée.

Un pas en avant, trois pas en arrière.
Elle avance à reculons.